8 MAI 1945
Introduction
Soixante ans après le drame, l’Ambassade de France en Algérie a informé le monde que la République reconnaît désormais les massacres qui eurent lieu le 8 mai 1945 à Sétif, à Guelma, et dans une grande partie du Constantinois.
C’était la première fois qu’un représentant officiel de la France
constatait la vérité de cette sombre page d’histoire contemporaine, que les spécialistes ont depuis longtemps dénoncée.
Sétif, Une gerbe pour les morts
Ferhat Abbas
étant né, et ayant vécu longtemps à Sétif, M. l’Ambassadeur se devait d’évoquer « une
tragédie qui a particulièrement endeuillé votre région. Je veux parler
des massacres du 8 mai 1945, il y aura bientôt 60 ans : une tragédie
inexcusable. Fallait-il, hélas, qu’il y ait sur cette terre un abîme
d’incompréhension entre les communautés, pour que se produise cet
enchaînement d’un climat de peur, de manifestations et de leur
répression, d’assassinats et de massacres ! »
« Certains pensent qu’il faut oublier le passé pour qu’il n’enterre
pas le présent. Je ne partage pas cet avis, même si nous ne devons pas
non plus nous enfermer dans l’histoire. »,
a enchaîné l’ambassadeur.
La cérémonie officielle s’est achevée par le dépôt d’une gerbe devant la stèle du souvenir des événements et des morts.
Victimes et bourreaux
De tueries inexcusables, l’histoire humaine en est pavée.
L’épopée coloniale, par la personnalité même de la majorité des
individus que les États mandataient, n’est qu’une succession
de tragédies pour les peuples colonisés
; et de sacrifices pour les rares représentants sincères de la
civilisation des Lumières qui se lançaient dans l’aventure par grandeur
d’âme.
Alors, pourquoi revenir sur ce 8 mai 1945 ? Pourquoi s’attarder sur la démarche française et le geste de Monsieur l’Ambassadeur ?
[size=24]"Persuadons-nous bien qu'en Afrique du Nord comme ailleurs, on ne sauvera rien de français sans sauver la justice."
Albert Camus. La photo à droite est de 1956 (Ph. Lamblard)
Suite ...
En 1956, lorsque les appelés du contingent
passèrent dans les villages du Constantinois, ils ne rencontrèrent que
des femmes, les hommes étaient ailleurs...
Algérie, 8 mai 1945 " suite
Soixante ans, c’était hier, les générations se souviennent. L’enfant
terrorisé est là, présent dans l’adulte qui vit et se remémore.
Le petit-fils a entendu de la bouche même des témoins le récit, et
cherche un écho de la tragédie des siens dans les annales du pays et
l’histoire de sa nation.
La haine comme l’amour cela se mène à deux. L’adversaire, le bourreau,
que dit-il ? Porte-t-il le poids du souvenir ou le sentiment du devoir
accompli ?
Puisqu’il y eut massacre, des mains ont tué, ou signé l’ordre du
carnage. Si les témoins pouvaient être fort jeunes, les acteurs avaient
nécessairement un certain âge, l’âge de tenir une arme. Ces derniers
participants sont aujourd’hui des vieillards. La démarche de
l’État français pour eux aussi est essentielle.
Et puis il y a tous ceux qui se sont trouvés complices sans le vouloir à cause du silence français...
Le bilan officiel.
Le 8 mai 1945, alors que le monde libre célèbre la défaite des
armées nazies et la victoire des Alliés, se déroule à Sétif, Guelma,
Kherrata, et dans une partie du Constantinois, des émeutes qui vont
provoquer, en un premier temps, l’assassinat d’une centaine de colons
européens, et en un second temps une répression incontrôlée qui frappera
près de 40 000 personnes, en quasi totalité des « indigènes »
musulmans.
Si le nombre de victimes européennes, ce mois de mai, à la suite des
échauffourées de Sétif et, Guelma est parfaitement connu, 103 morts et
110 blessés, souvent dans des conditions horribles, le nombre exact
d’Algériens victimes de la répression est inconnu.
La version officielle, admise aujourd’hui en Algérie, après avoir avancé
des chiffres improbables, se situe autour de 40 000/45 000 martyrs.
C’est le chiffre retenu par la Fondation du 8 Mai 45 notamment. Les historiens
estiment que ce chiffre englobe non seulement les morts, mais également
les blessés, et les emprisonnés dont un grand nombre ne survivra pas
aux conditions de détention.
Les racines du mal.
Monsieur l’Ambassadeur a parlé d’un abîme d’incompréhension entre
les communautés. Aveuglement stupide, climat de peur, haine et rancune,
largement partagés.
Aujourd’hui, ceux qui veulent savoir savent. Au commencement, il y a la
conquête de la Régence d’Alger. En 1830, la France engluée dans ses
contradictions, alternant République, Empire, et monarchisme croupion,
vivait sous le règne de Charles X. Celui-ci, sous divers prétextes, et
pour « châtier » les pirates barbaresques qui perturbaient le trafic
maritime en Méditerranée, monta une expédition contre Hussein Pacha, le
dey ottoman qui régnait sur cette province d’obédience turque. Le dey,
sujet d’Istanbul, gouverne une population de Maures, de Kabyles, de
Berbères, d'Arabes et de marins pirates. La richesse en blé de ces
provinces nord-africaines lui avait permis d’accumuler dans ses caves un
fabuleux trésor, que Charles X rêvait de s’approprier.
Ce qui fut fait en juillet 1830. Une révolution inopinée chassa le Roi
du trône de France et le remplaça par un roi des Français. Dans ce
chassé-croisé, une partie du trésor d’Alger disparut au profit des
hommes d’affaires qui entretenaient l’expédition, et la monarchie de
Juillet n’hérita que les miettes, plus un territoire dont elle ne savait
que faire.
De sujets de la Sublime Porte, les autochtones devinrent sujets de
France, et ne se découvrirent Algériens que progressivement. (Voir
l'article sur Sidi-Brahim et l'émir Abd El-Kader)
Il a fallu un siècle de turbulences pour que les Français se
reconnaissent républicains ; un siècle ne sera pas de trop pour que le
peuple d’Algérie se découvre une nation.
En juin 1940, dans les Ardennes et les plaines picardes, de nombreux
tirailleurs algériens perdaient leur vie, pêle-mêle avec les Pieds-noirs
de Bab-el-Oued, avec les fils de l’Hexagone, et les Noirs des colonies ;
il s’agissait bien de défendre la même patrie. Mais à l’arrière, la
maturité politique était suffisamment avancée pour que des organisations
algériennes revendiquent une réforme du statut de l’indigène et
avancent le mot de fédéralisme.
En avril 1941, Ferhat Abbas envoie au chef de l’État un rapport « L’Algérie de demain », où il demande des réformes qui préfigurent le contenu du « Manifeste du peuple algérien » à venir.
Les deux défaites
La première défaite du commandement militaire français devant les
troupes allemandes provoque un choc dans l’opinion publique : pour le
fellah, le tout puissant colon et son bras armé n’étaient plus
invincibles désormais.
En novembre 1942, au regard de la population algérienne, une seconde
défaite frappe le pouvoir militaire français fidèle au Maréchal, avec
l’arrivée massive des Américains à Alger et le débarquement des troupes
alliées qui installent en Algérie leur base méditerranéenne.
La démocratie américaine s’avance, ceci est connu, avec ses deux
visages. Le premier, admirable, celui qui servit de modèle à la grande
Révolution française, porteur de l’idéal des libertés des peuples et des
droits de l’homme. Le second visage, plus immédiat et prosaïque est
celui d’une troupe d’hommes éclatants de santé, insouciants et cordiaux,
traficoteurs et bambocheurs.
(Cet aspect des effets de la présence américaine a été mis en scène dans le film d'Alexandre Arcady: "Le grand Carnaval" en 1983).
L’Amérique prenait pied en Algérie avec la Charte de l’Atlantique
qui promettait aux peuples des colonies le droit de disposer
d’eux-mêmes. Elle déversait également son opulence matérielle
accompagnée du marché noir corrupteur, rapidement organisé en mafia
interlope. En 1943, à Alger, tout se vendait ou s’échangeait, y compris
les armes de guerre.
L’Algérie c’est la France ! En 1943, l’Algérie c’était surtout Vichy et
le pétainisme poussé à la caricature, avec cependant un patriotisme
authentique qui excluait la collaboration prônée par Laval, Déat et
consorts.
Le petit peuple pied-noir s’était mobilisé massivement pour défendre la
mère patrie, et les Algériens s’engagèrent avec les Alliés pour la
libération du territoire national. La famille Hernandez envoya ses
garçons servir sous les ordres de de Lattre de Tassigny et les fils
musulmans de la Casbah s’y retrouvèrent également au coude à coude. Il
est admirable, et navrant, de constater que les combats contre le
nazisme et les plaques des monuments aux morts, seront les seuls
endroits où les deux communautés se retrouveront dans l’égalité, avec la
fraternité de la tombe.
Les carillons de la Victoire
La génération à laquelle j’appartiens se souvient des cloches de la victoire du 8 mai 1945 ; c’est également une génération qui a vu ses gars achever leur jeunesse dans les djebels.
L’enfant que j’étais suivit les grands sur le toit de l’église du
village, malgré les protestations du curé, pour aller sonner la fin de
la guerre. Ce jour reste fortement marqué dans ma mémoire par cette
formidable transgression que représentait la bousculade du tout-puissant
curé, et l’occupation du toit de l’église dans laquelle le matin même
je servais l’office comme enfant de chœur.
Et l'enfant est fier de poser pour le
photographe sur le chemin de l'école. Il ne sait pas encore combien bref
sera son printemps.(Photo J. Farjon)
Je me faufilai sans vraiment comprendre ce qui enfiévrait les adultes,
mais déterminé à ne rien perdre de ce que l’on préparait. Je montai en
courant jusqu’à la cime du clocher pour déboucher en plein ciel. Et je
riais, et tous riaient d’être là. Les plus grands parce qu’ils se
savaient délivrés d’une servitude, les petits parce qu’ils comprenaient
que quelque chose de grave s’accomplissait, et, par contrecoup, libérait
des interdits.
Les oreilles fracassées par les premières volées, accroupis sur le
faîtage, nous regardions les hommes affrontés aux battants peser de
toutes leurs forces pour ébranler les énormes cloches qui avaient
ponctué, mystérieuses et aériennes, nos jours et nos nuits. Les cloches
asservies aux matines et aux vêpres, aux angélus et aux glas,
s’émancipaient en République. Sous les mains de la jeunesse, elles
inventaient un carillon inouï. Je ne l’oublierai jamais et garderai
l’ivresse de l’escapade sur les toits interdits un jour pavoisé de
tricolore.
"Le 8 mai 1945, les cloches de la Victoire annoncent pour l'Algérie la Saint-Barthélemy.", écrit Kateb Yacine en 1961.
À neuf cent kilomètres du toit de mon église, de l’autre côté
de la mer, les cloches sonnèrent aussi. Dans le collège de Sétif, un
adolescent qui écrivait des poèmes d’amour, laissa son pupitre de bois
et courut sur la place. À Sétif, comme partout en France, on
fêtait la Victoire. Kateb Yacine avait quinze ans, il se souviendra toute sa vie du 8 mai 1945 : « À
la tête du cortège, il y avait des scouts et des camarades du collège
qui m’ont fait signe, et je les ai rejoint, sans savoir ce que je
faisais. Immédiatement, ce fut la fusillade, suivie d’une cohue
extraordinaire, la foule refluant et cherchant le salut dans la fuite.
Une petite fille fut écrasée dans la panique. Ne sachant où aller, je
suis entré chez un libraire. Je l’ai trouvé gisant dans une mare de
sang. Un ami de mon père qui passait par là me fit entrer dans un hôtel
plein d’officiers qui déversaient des propos racistes. Il y avait là mon
professeur de dessin, une vieille demoiselle assez gentille, mais comme
je chahutais dans la classe, ayant parlé une fois de faire la
révolution comme les Français en 1789, elle me cria : Eh bien, Kateb, la
voilà votre révolution, alors, vous êtes ******* ?» (Soliloques, 1988)
Autour de notre clocher occitan, nous ne savions presque rien de
l’Algérie. Il nous fallut dix ans pour apprendre que c’était autre chose
que trois départements au sud. Nous l’apprendrons sans l’avoir demandé.
Il a donc fallu plus de dix ans aux enfants qui s’enivraient du bruit
des cloches du 8 mai 1945 pour savoir qu’au même moment un drame se
jouait sur l’autre rive de la Méditerranée, un drame qui leur valut le
voyage outre-mer.
Depuis, comme des milliers d’autres, ils souhaitent comprendre.
Une guerre s’achève, une autre commence.
Peut-on se détacher de sa propre histoire ? J’ai ouvert les yeux
sur le monde tandis que la guerre contre l’Allemagne faisait rage, et
que les miens tremblaient pour les hommes qui guerroyaient. L’idée que
la guerre s’abattait comme une malédiction et qu’il fallait s’y
soumettre, que c’était le lot du paysan, faisait partie de notre morale.
En ce sens, nous ne devions pas différer beaucoup des paysans des Aurès
ou de l’Ouarsenis que j’allais côtoyer bientôt. Les voix d’en bas
s’élèvent rarement contre la guerre. Pire, des gars de vingt ans
l’accueillent parfois comme un facteur de promotion sociale lorsque
l’horizon du village est trop gris.
Ce drame algérien, je l’ai découvert en 1956 alors que j’effectuais mon
service militaire. Au premier récit entendu sur place, je ne l’ai pas
crû entièrement. Ce n’est qu’après avoir achevé mes deux années
obligatoires, rentré au pays, que j’ai tout découvert en lisant les
éditoriaux de certains journaux et les livres de Pierre Vidal-Naquet ou
de Henri Alleg. Avec le recul, j’ai aussi compris ce qu’étaient ces
opérations de maintien de l’ordre qui m’avaient mobilisé là-bas. Il
s’agissait bien d’une guerre et elle avait débuté à la minute de silence
devant le monument aux morts de Sétif, le 8 mai 1945.
Printemps des peuples
La guerre s’achevait. En ce début d’année 45, chacun comprenait que le
régime nazi n’en avait plus que pour quelques semaines. On se préparait à
revivre. Les familles espéraient le retour de leur soldat. Et les
survivants de Monte Cassino, du Garigliano, des chemins de la
reconquête, s’attendaient à des jours meilleurs une fois dans leur
foyer. Les tirailleurs de de Lattre, de Juin, de Montsabert, les
glorieux combattants qui en 1943 et 1944 firent oublier la débâcle et
restaurèrent l’honneur de l’armée française aux yeux des Alliés,
s’attendaient à la reconnaissance de la nation.
Au bled aussi on préparait la fête du retour. L’élite musulmane avait
pris conscience depuis longtemps de l’inégalité des sorts et se
préparait à revendiquer l’amélioration de statut de l’indigène. Les
associations politiques, notamment l’AML (Amis du Manifeste et des
Libertés) de Ferhat Abbas, recueillaient une audience populaire de plus
en plus large. Les premiers discours nationalistes apparaissaient au
grand jour. Le PPA de Messali Hadj, héritier de l’Étoile
nord-africaine, n’était plus isolé.
Sétif, par la présence de son pharmacien Ferhat Abbas, faisait
figure de capitale politique de l’Algérie future. Que réclamaient ces
guides ? Ces dirigeants militaient pour la constitution d’un
État algérien fédéré à la France, mais disposant d’une
autonomie interne. Utopie ? Ils dressaient ce constat : « Le
tirailleur qui revient couvert de gloire, qu’on a fêté en France et à
Alger, ne comprend pas pourquoi sa solde et ses al********s familiales
sont inférieures à celles de son frère d’armes européen. Il ne comprend
pas que le tirailleur musulman mutilé touche une pension inférieure à
celle du tirailleur européen blessé dans la même bataille, de la même
manière, contre le même ennemi. » (Amar Ouzegane, dans Jacques Jurquet)
La jeune génération montrait plus d’impatience. Le mouvement scout, très vigoureux en Algérie, était à l’avant-garde du combat.
Pour célébrer le 1er Mai des travailleurs, il fut décidé que les scouts
défileraient devant les syndicats avec leurs fanions. Des banderoles et
des slogans furent préparés. « Libérez Messali », « Libérez les détenus », « A bas le colonialisme
». Des chants se répétaient et les femmes cousaient des étoffes vertes
et blanches, frappées d’une étoile et du croissant rouge, lointain
souvenir de la bannière d’Abd el-Kader. (La petite histoire retiendra
que le premier drapeau algérien fut cousu par une jeune française,
Madame Messali Hadj)
Les 1er Mai ouvriers ont souvent vu couler le sang. Celui d’Alger et
d’Oran en 1945 fut dans la tradition. Les forces de police avaient
établi des barrages pour filtrer la manifestation et détruire les
drapeaux et les banderoles. Un peu partout en Algérie les défilés du 1er
Mai montrèrent une forte mobilisation des musulmans. Le pouvoir en fut
alerté.
On attendait la proclamation de l’armistice d’un jour à l’autre.
Jour de Victoire
Gloire au soldat qui rentre dans ses foyers ! Pour lui les fleurs des
enfants, les baisers des filles, l’accolade des vieux. Mais à Marseille,
on le retient sur le quai, le soldat glorieux. Ce qu’il ne sait pas
c’est que de l’autre côté de la mer sa mechta est en feu. Les siens
gisent le ventre ouvert.
Il est des crimes plus lourds à porter que d’autres. Bienheureux ceux
qui les ignorent longtemps pour ne les avoir point vécus. L’œuvre de Kateb Yacine,
qui perdra quatorze membre de sa famille dans le massacre, tout entière
palpite aux souvenir du défilé de la victoire à Sétif :
Vous mes frères, les loups d’un bois de servitude,
Faites frémir le ciel de vos sanglots damnés
Après la nuit glaciale où meurt votre harmonie…
Vous mordez votre flanc orgueilleux d’être vide
Pourtant j’aime vos cris importuns quand la neige
Couvre de pureté vos spectres maladifs…
(Soliloques, 1946)
La comptabilité des crimes collectifs, l’énumération des massacres, ne
peuvent que conduire à une hiérarchie des horreurs qui ajoute encore à
l’ignominie. Fallait-il taire un crime en ce jour où les survivants
célèbrent la victoire et honorent les morts tombés contre le nazisme ?
Pendant plus de dix ans, ceux qui tenaient la parole imposèrent le
bâillon.
On a déjà dit dans quel état d’ignorance les appelés du contingent se
sont retrouvés, en 1956, embarqués dans ce qui n’avait pas encore de nom
et que l’on appelle aujourd’hui la "Guerre d’indépendance algérienne".
Nous sommes arrivés dans le Constantinois après une autre tuerie qui
avait fait six mois plus tôt 123 victimes à El-Halia et Philippeville,
entraînant selon l’arithmétique propre à ces événements une répression
de plusieurs milliers de morts. L’émotion était encore palpable. Nos
hôtes voulaient dire le détail des pertes, les mutilations, l’innocence
des victimes. On évoquait aussi la « Toussaint rouge » de 1954. Mais de
la tragédie prémonitoire et fondamentale du 8 mai 1945 à Sétif et dans
le Constantinois, jamais personne ne voulut parler. Elle relève pourtant
de la plus haute blessure et constitue la charnière autour de laquelle
tout bascula, parce qu’il y eut en ce lieu un crime majeur. Pour le
comprendre il aurait suffi d’ouvrir les yeux et d’écouter les poètes.
Le monument aux morts de Sétif
Ce 8 mai c’est jour de marché. Il fait beau.
Sétif est une ville bâtie sur le modèle des cités créées par la
colonisation. Située au centre d’une région où pousse le blé, la misère
n’est pas aussi accablante que dans la Kabylie ou les Aurès. Le climat
est dur. À côté de la ville européenne, il y a les villages
arabes et un vaste quartier militaire. Le marché attire tous les ruraux
des alentours.
La célébration de la Victoire est prévue au monument aux morts. La
manifestation décidée par les associations musulmanes se forme dès huit
heures du matin. Il s’agit de déposer une gerbe. Le rendez-vous est fixé
devant la mosquée du faubourg de la gare.
Beaucoup de monde. Les militants veillent à la bonne organisation. C’est
une manifestation de paix. On demande même aux fellahs de déposer leur
couteau de poche et leur bâton. Il faut éviter toute provocation et
toute menace vis-à-vis de l’ordre public après les dérives du Premier
Mai.
Le cortège se forme et, pour affirmer ses intentions pacifiques, les
organisateurs placent en tête les enfants et deux cent scouts en
uniforme. Derrière eux viennent les étudiants, et trois anciens
combattants de 14-18 porteurs de gerbes. Suivent les drapeaux de tous
les pays alliés qui ont vaincu l’hitlérisme. En fin de cortège, la masse
des manifestants.
Le commissaire central Tort se porte devant la mosquée et
s’adresse au service d’ordre. Il les avise que toutes banderoles et
pancartes à caractère politique sont interdites, puis il se rend à la
sous-préfecture en laissant sur place le commissaire Valère. La foule est disciplinée, mais elle entend revendiquer ses droits et son identité.
Le sous-préfet de Sétif, Butterlin, convoque diverses
personnalités musulmanes et leur fait connaître l’interdiction de tout
cortège à caractère politique, et les avise qu’elles seront tenue pour
responsables de tout incidents. Il met en alerte l’autorité militaire et
la gendarmerie.
Pendant ce temps, le défilé se met en route. Dix mille personnes,
peut-être davantage. Soudain, au milieu des drapeaux français et alliés,
une main brandit le drapeau vert et blanc frappé d’une étoile et du
croissant rouge, un drapeau jamais vu au soleil, le drapeau algérien.
S’il n’avait encore été déployé en public, personne n’ignorait sa
naissance depuis que Ferhat Abbas avait réclamé dans son Manifeste que
les troupes indigènes levées en 1943 pour la reconquête de la France
occupée soient placées sous les couleurs algériennes.
C’est le jeune Chaâl Bouzid qui porte le drapeau.
Les militants des AML sortent les banderoles et les pancartes. On peut lire : « Démocratie pour tous », « Vive l’Algérie libre et indépendante », « Vive la Charte de l’Atlantique ».
Des motocyclistes de la police surveillent l’avancée du cortège. Les scouts chantent "Min djibalina" (De nos montagnes s’élève la voix des hommes libres, l’indépendance les appelle…)
Sétif, plaque commémorative de la mort de Chaâl Bouzid. Photo lamblard.
Le commissaire Valère signale au sous-préfet Butterlin la présence des
slogans. Le sous-préfet lui intime l’ordre de retirer les banderoles
séditieuses. Le commissaire fait observer que cette intervention risque
d’entraîner de la bagarre compte tenu du nombre de manifestants. Le
sous-préfet répond : « Eh bien il y aura de la bagarre ! »
La manifestation poursuit son itinéraire qui doit traverser le centre
ville. Les trottoirs sont noirs de monde, les femmes poussent les
you-you traditionnels.
Il est 9h 30 environ lorsque le cortège arrive à hauteur du Café de
France, en face du Café Carbonnel, lieu de rendez-vous de tous les
colons, cœur de la ville européenne. Le commissaire de police Olivièri
sort d’un établissement et arrête la marche. Il exige que soient
enlevés les banderoles et le drapeau vert et blanc. Les dirigeants
répondent que la manifestation est autorisée et qu’elle est pacifique.
À cet instant, Olivièri se précipite sur le porteur de la
première bannière et tente de l’arracher. Des manifestants se jettent
sur lui et le maîtrisent. Le policier appelle à l’aide. Ses hommes
sortent des voitures et des cafés. C’est la confusion. Un premier coup
de feu est tiré en l’air par un policier, semble-t-il. D’autres coups
partent des environs, de derrière les arcades, peut-être des balcons. Le
jeune Chaâl Bouzid, porteur du drapeau, s’effondre, blessé à mort.
Des rafales de mitraillettes claquent. Les Européens sont armés, en
face, les manifestants sont innombrables. Le cortège se disloque sous
les arcades, dans les rues voisines. Trois cadavres gisent au milieu de
la rue, beaucoup de blessés. Des dirigeants restent sur place et tentent
de reformer le défilé pour déposer la gerbe au monument aux morts. Mais
c’est la débandade, le désordre et la peur.
Comment cela a-t-il commencé ? Comme souvent, une échauffourée suivi
d’une fusillade dont la provenance ne sera jamais éclaircie.
Par la suite, il est certain que le car de la gendarmerie est entré en
action, barrant la route à ce qui restait du cortège devant le monument
aux morts. L’émotion est énorme, l’onde se répercute au fond des souks,
la masse des paysans se précipite, c’est l’émeute. Les manifestants
surexcités se répandent dans les rues et agressent tout ce qui ressemble
à un Européen.
Kateb Yacine qui défilait avec ses camarades témoignera directement :
« Un agent de la sûreté, dissimulé à l’ombre d’une arcade, tire sur le drapeau ;
Mitraille.
Les cadres flottent.
Ils ont laissé désarmer les manifestants à la mosquée, par le commissaire, aidé du muphti.
Chaises. Bouteilles.
Branches d’arbres taillées en chemin.
Les Cadres sont enfoncés.
Contenir le peuple à sa première manifestation massive ?
Le porte-drapeau s’écroule.
Un ancien combattant empoigne son clairon.
Est-ce la diane ou la guerre sainte ?
Un paysan tranche d’un coup de sabre l’épaule d’un étudiant sans coiffure qu’il a pris pour un européen.
Mustapha jette sa cravate.
Le maire français est abattu par un policier…. »
(Nedjma, 1956)
Le maire socialiste de Sétif, Édouard Deluca sera
trouvé mort. Qui l’a tué ? L’écrivain est formel : un policier. Mais
d’autres témoignages désignent des hommes de main des Vichystes qui
prennent leur revanche. Un contrôleur des postes, militant du PCA, Albert Denier
a les mains broyées à coup de hache, on l’amputera à l’hôpital. Il
refusera toujours de désigner les coupables parmi les Algériens arrêtés,
tant le désarroi de la foule poussait à la confusion.
Ferhat Abbas
qui se trouvait ce jour-là à Alger pour une
cérémonie officielle (et sera arrêté dans les salons même du gouverneur
général, peut-être pour le protéger d’un attentat d’extrême droite qui
visait ce meneur charismatique), écrit dans son testament politique : « Un employé des postes, foncièrement honnête comme mon ami Denier, victime innocente d’un salaud…
» Il est certain que la colère populaire a poussé les manifestants à
des actes horribles et injustifiés ; les heures qui suivront ne feront
qu’amplifier l’émeute.
À midi, le calme est rétabli à Sétif. La police et la
gendarmerie ont repris le contrôle des rues. L’armée s’est déployée et
pourchasse les insurgés à l’extérieur de la ville.
On a tiré encore autour du monument aux morts. On emporte les morts et les blessés. Le couvre-feu est instauré.
L’émeute du Constantinois
Partout, dans chaque ville et village, les cloches ont sonné et
les cortèges sont allés déposer leurs gerbes sans incidents notables. Le rapport du général Paul Tubert, commandé à chaud par le gouvernement, constatera : « D’autres
manifestations se sont déroulées ce jour-là, et notamment à
Sidi-bel-Abbès, avec des pancartes portant les mêmes inscriptions qu’à
Sétif, sans causer d’incidents sanglants, la police étant demeurée
passive (…) Sans vouloir en rien s’immiscer dans l’enquête judiciaire,
la commission a seulement constaté que bon nombre de manifestations se
sont déroulées en Algérie les 1er et 8 mai, que toutes ces
manifestations étaient à caractère exclusivement politique et avaient
pour but de réclamer la libération de Messali Hadj et l’indépendance de
l’Algérie. Elle a aussi constaté que seule la manifestation de Sétif du 8
mai avait tourné à l’émeute pour gagner les régions environnantes. »
À 14h 30, le préfet de Constantine Lestrade-Carbonnel,
venant d’arriver à Sétif, proclame l’état d’urgence. Après
communication avec Alger, la loi martiale accorde tous les pouvoirs au
général Raymond Duval commandant la division territoriale de
Constantine. Celui-ci engage aussitôt ses troupes motorisées et ses
half-tracks. Simultanément, les milices civiles armées se lancent dans
des opérations de représailles.
Les fusillades du marché de Sétif ont jeté sur les routes des gens
affolés qui crient que l’on tue les Arabes. Un taxi diffuse la nouvelle à
Périgotville. Et c’est une traînée de poudre qui se répand dans le
djebel, avec les conséquences que l’on imagine. Sur ces populations
affamées, humiliées depuis des décennies, dont pas une n’ignore le
contexte international dans lequel se trouve la France depuis Sedan et
Montoire, sur ces populations qui ont pour les guerres payé l’impôt du
sang, le crime de Sétif jaillit comme une profanation.
La manifestation se voulait réellement pacifique. Dans ce pays où depuis
trois ans l’énorme machine de guerre américaine, et ses soldats
traficoteurs, s’était posée, les armes ne manquaient pas. Le troc, la
contrebande, le vol, le gaspillage, comme partout où l’ordre guerrier
domine, permettait à qui en montrait la volonté de se pourvoir en
fusils, mitraillettes, pistolets et grenades. Les musulmans de Sétif ne
possédaient rien de tout cela. Et les traditionnels tromblons des
montagnards étaient restés dans leurs cachettes.
Par ailleurs, on peut imaginer quel arsenal les colons s’étaient constitué sachant que l’Algérie « était à la veille d’une disette agricole sans précédent et que cette situation pouvait provoquer un drame général », ainsi que l’écrivait Eugène Vallet, président du Conseil général de Constantine, le 24 avril 1945.
Dans un premier temps, sous la violence de la répression, armés de
pierres et de bâtons, les manifestants répliquèrent, et puis se
transformèrent en émeutiers cherchant à tirer vengeance de tous les
Européens rencontrés. Comme sous toutes les latitudes, la fureur
populaire des hordes misérables se livre au carnage avec une brutalité
irrationnelle, cherchant à anéantir le corps après lui avoir ôté la vie,
dans des gestes de profanation qui semblent resurgir d’une bestialité
originelle, ou imiter des rites barbares de l’armée de Bugeaud.
Le sous-préfet de Guelma
Il faudrait s’arrêter ici. Le pire est à venir.
C’est à Guelma que le processus sinistre de la répression et de son
escalade incontrôlée se révèle dans toute l’étendue de son horreur.
Guelma se trouve à 200 km de Sétif. Le matin du 8 mai a été calme. La
manifestation musulmane, prévue comme dans toute l’Algérie, n’a été
programmée qu’à 17 heures, peut-être pour éviter le meeting officiel que
les autorités tiennent sur la place Saint-Augustin.
À l’heure dite, le cortège se dirige vers le monument aux
morts. Quelques milliers de personnes défilent drapeaux en tête comme à
Sétif, et banderoles déployées.
Le sous-préfet André Achiary, accompagné de policiers, se place
au milieu de la chaussée et stoppe les manifestants. Il interdit au
cortège d’avancer et exige la dispersion immédiate. Un dialogue s’engage
avec le service d’ordre. Les militants demandent l’autorisation d’aller
jusqu’au monument aux morts. Des consommateurs attablés aux terrasses
des cafés interpellent le sous-préfet : « Y a-t-il la France ici ? Oui ou non ?… »
Sortant son arme, Achiary ordonne pour la seconde fois la dispersion et
tire en l’air. Mais la foule pousse en avant. Le sous-préfet est
bousculé. Il recule. Débordés, les cadres des musulmans tentent de faire
refluer leurs gens. Trop tard, déjà les policiers chargent. Ils tirent.
Le porte-drapeau Boumaza el-Hamdi s’effondre. D’autres sont
mortellement blessés à la baïonnette. C’est la panique, les manifestants
jettent des pierres et ce qui leur tombe sous la main avant de
s’enfuir. Aucun Européen n’a été tué.
Achiary ordonne la fermeture des cafés, établit le couvre-feu et donne l’ordre d’armer la milice européenne.
Dans la soirée, la rumeur de morts à Sétif rejoint celle de Guelma. Des
émissaires alertent les tribus de la tuerie et des arrestations.
L’émotion fait tache d’huile, les paysans se cachent dans les montagnes.
Le châtiment est organisé et conduit par Achiary (qui avait été
commissaire de police à Alger sous le gouvernement de Vichy, et se
proclame désormais gaulliste.) Il est appuyé par le préfet de
Constantine. Ordre est donné au général Duval, commandant supérieur des
troupes, de lancer ses unités dans une répression exemplaire.
« Le sous-préfet invite personnellement les Européens à participer
aux massacres : ‘’Messieurs les colons, vengez-vous ! ‘’ leur
lance-t-il. Dans le lot sont exécutés tous les joueurs de l’équipe de
football l’Espérance sportive guelmoise, car un dirigeant du club est
soupçonné d’appartenir au PPA. Les corps, arrosés d’essence, sont brûlés
sur la place de l’église ou dans les fours à chaux d’Héliopolis… » (Henri Alleg).
L’action conjuguée des miliciens, des gendarmes, de la police et des
troupes, et même des détenus étrangers que Duval réquisitionne, non
seulement à Sétif et Guelma mais dans tout le Constantinois, entraînera
un nombre incalculable de victimes. Jouant sur les oppositions ethniques
traditionnelles, la hiérarchie militaire lance les tirailleurs
sénégalais à l’assaut, après leur avoir servi l’habituelle ration
d’alcool comme au front.
« On viole. On étripe. On mutile. On égorge. Une opération
considérable de ratissage est menée par le général Raymond Duval à la
tête de légionnaires (…) Les fusillades sont innombrables. La répression
est sauvage », écrit Yves Courrière. Le même auteur ajoute : «
Car on peut parler de massacre. Des douars entiers ont disparu. On
trouvera des fosses communes remplies à ras bord de cadavres. »
Les chars, les automitrailleuses entrent en action. Des centaines d’hommes sont exécutés à la mitrailleuse dans les carrières.
L’aviation est mise à contribution. En rase-mottes, elle lâche ses
roquettes, mitraille les mechtas. La marine est appelée à tirer. Le
croiseur de guerre Duguay-Trouin bombarde les villages dans les régions
de Kerrata et Taratest. Le croiseur Triomphant ouvre le feu sur le douar
Djaoua près de Bougie. Pendant plus de dix jours, c’est une opération
de mort qui se déchaîne dans le périmètre de la Kabylie aux Aurès.
Le Sacrilège de Mai
Au moment où le pilonnage battait son plein, le 7e Régiment de
Tirailleurs algériens, dont les soldats étaient pour la plupart
originaire du Constantinois, débarquait à Alger. Ces hommes, qui avaient
perdu plus de la moitié de leurs camarades sur les champs de bataille,
rentrant chez eux, découvrent que leur maison, leur village ont été
détruits, que leur famille a été décimée par les armes françaises
soudain retournées, les armes de l’Algérie française.
Ces troupes du général Duval, ces chefs, dont la plupart n’avaient pu
s’opposer aux puissances de l’Axe, ces miliciens exemptés des batailles,
ces tueurs, se sont déchaînés un jour de victoire contre un peuple dont
le seul crime était de réclamer un peu plus de justice. Avec la
lucidité du recul, on ne peut qu’être étonné par la modération des mots
d’ordre que scandaient les manifestants musulmans du 8 mai. Ils
demandaient seulement qu’un rang de dignité leur fût octroyé sur leur
terre ancestrale. S’en suivit une hécatombe.
Ce sacrifice d’hommes, de femmes et d’enfants, après la boucherie des
combats où des milliers de jeunes Algériens, de toutes confession,
moururent entre Sedan et Dunkerque, dans les Alpes et sur les plages de
Provence, accouchera neuf ans plus tard d’une guerre impitoyable.
« Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours
déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente où le tueur
sait d’avance qu’il atteindra la femme et l’enfant », s’écriera Albert Camus. (Actuelles III)
L’écrasement politique ira de pair avec le massacre. Tous les militants
algériens seront arrêtés en quelques heures sur tout le territoire. Un
millier de condamnations, dont une centaine à mort. Le bilan de la
répression militaire et des meurtres civils sur les quinze jours que
durèrent les opérations punitives du Constantinois, est impossible à
dresser avec exactitude.
La commission du général Paul Tubert envoyée sur place par le gouverneur
Yves Chataigneau, ne disposera que de deux jours pour enquêter sur le
terrain (26 et 27 mai 1945). Elle sera immédiatement rappelée à Alger
sur ordre de de Gaulle, au moment de se porter à Guelma. Le chef de la
France libre ne souhaitait pas ajouter aux urgences du moment.
Le gouverneur Yves Chataigneau, dont l’humanité ne peut être mise en
doute, avait dépêché immédiatement une première enquête confiée au
commissaire J. Bergé, chef de la P.J. d’Alger. Celui-ci fut constamment
entravé dans ses investigations de terrain par la collusion des pouvoirs
locaux. Toutefois, un rapport de Bergé concernant les meurtres
attribués aux milices civiles de Guelma existe aux Archives nationales
et a pu être récemment consulté par l’historienne
Conclusion
Le nombre des victimes serait donc approchant les 45 000. Ce chiffre,
comme nous l’avons dit, paraît recouvrir, selon les spécialistes de ce
dossier, celui, global, des morts, des blessés, et de tous ceux qui ont
subi des sévices.
Au-delà des monceaux de cadavres accumulés dans les deux communautés, ce
qui pèse dans cette tragédie, c’est la charge symbolique du crime, en
ce moment historique, en cet endroit. À partir de Mai 1945,
plus rien ne sera comme avant en Algérie. Ce constat était vrai pour le
monde libre en général qui mit un terme au régime nazi, mais en
particulier pour la France dans ses rapports de puissance coloniale,
face à un peuple qui déposait les prémices de son affranchissement, et
néanmoins se disait encore prêt à nouer des liens nouveaux et dignes
pour aborder une association politique adaptée à cette fin de siècle.
Et c’est en cela aussi qu’il y eut crime et sacrilège.
. La minute de silence devant le monument aux morts de Sétif durera neuf ans et six mois
Introduction
Soixante ans après le drame, l’Ambassade de France en Algérie a informé le monde que la République reconnaît désormais les massacres qui eurent lieu le 8 mai 1945 à Sétif, à Guelma, et dans une grande partie du Constantinois.
C’était la première fois qu’un représentant officiel de la France
constatait la vérité de cette sombre page d’histoire contemporaine, que les spécialistes ont depuis longtemps dénoncée.
Sétif, Une gerbe pour les morts
Ferhat Abbas
étant né, et ayant vécu longtemps à Sétif, M. l’Ambassadeur se devait d’évoquer « une
tragédie qui a particulièrement endeuillé votre région. Je veux parler
des massacres du 8 mai 1945, il y aura bientôt 60 ans : une tragédie
inexcusable. Fallait-il, hélas, qu’il y ait sur cette terre un abîme
d’incompréhension entre les communautés, pour que se produise cet
enchaînement d’un climat de peur, de manifestations et de leur
répression, d’assassinats et de massacres ! »
« Certains pensent qu’il faut oublier le passé pour qu’il n’enterre
pas le présent. Je ne partage pas cet avis, même si nous ne devons pas
non plus nous enfermer dans l’histoire. »,
a enchaîné l’ambassadeur.
La cérémonie officielle s’est achevée par le dépôt d’une gerbe devant la stèle du souvenir des événements et des morts.
Victimes et bourreaux
De tueries inexcusables, l’histoire humaine en est pavée.
L’épopée coloniale, par la personnalité même de la majorité des
individus que les États mandataient, n’est qu’une succession
de tragédies pour les peuples colonisés
; et de sacrifices pour les rares représentants sincères de la
civilisation des Lumières qui se lançaient dans l’aventure par grandeur
d’âme.
Alors, pourquoi revenir sur ce 8 mai 1945 ? Pourquoi s’attarder sur la démarche française et le geste de Monsieur l’Ambassadeur ?
[size=24]"Persuadons-nous bien qu'en Afrique du Nord comme ailleurs, on ne sauvera rien de français sans sauver la justice."
Albert Camus. La photo à droite est de 1956 (Ph. Lamblard)
Suite ...
En 1956, lorsque les appelés du contingent
passèrent dans les villages du Constantinois, ils ne rencontrèrent que
des femmes, les hommes étaient ailleurs...
Algérie, 8 mai 1945 " suite
Soixante ans, c’était hier, les générations se souviennent. L’enfant
terrorisé est là, présent dans l’adulte qui vit et se remémore.
Le petit-fils a entendu de la bouche même des témoins le récit, et
cherche un écho de la tragédie des siens dans les annales du pays et
l’histoire de sa nation.
La haine comme l’amour cela se mène à deux. L’adversaire, le bourreau,
que dit-il ? Porte-t-il le poids du souvenir ou le sentiment du devoir
accompli ?
Puisqu’il y eut massacre, des mains ont tué, ou signé l’ordre du
carnage. Si les témoins pouvaient être fort jeunes, les acteurs avaient
nécessairement un certain âge, l’âge de tenir une arme. Ces derniers
participants sont aujourd’hui des vieillards. La démarche de
l’État français pour eux aussi est essentielle.
Et puis il y a tous ceux qui se sont trouvés complices sans le vouloir à cause du silence français...
Le bilan officiel.
Le 8 mai 1945, alors que le monde libre célèbre la défaite des
armées nazies et la victoire des Alliés, se déroule à Sétif, Guelma,
Kherrata, et dans une partie du Constantinois, des émeutes qui vont
provoquer, en un premier temps, l’assassinat d’une centaine de colons
européens, et en un second temps une répression incontrôlée qui frappera
près de 40 000 personnes, en quasi totalité des « indigènes »
musulmans.
Si le nombre de victimes européennes, ce mois de mai, à la suite des
échauffourées de Sétif et, Guelma est parfaitement connu, 103 morts et
110 blessés, souvent dans des conditions horribles, le nombre exact
d’Algériens victimes de la répression est inconnu.
La version officielle, admise aujourd’hui en Algérie, après avoir avancé
des chiffres improbables, se situe autour de 40 000/45 000 martyrs.
C’est le chiffre retenu par la Fondation du 8 Mai 45 notamment. Les historiens
estiment que ce chiffre englobe non seulement les morts, mais également
les blessés, et les emprisonnés dont un grand nombre ne survivra pas
aux conditions de détention.
Les racines du mal.
Monsieur l’Ambassadeur a parlé d’un abîme d’incompréhension entre
les communautés. Aveuglement stupide, climat de peur, haine et rancune,
largement partagés.
Aujourd’hui, ceux qui veulent savoir savent. Au commencement, il y a la
conquête de la Régence d’Alger. En 1830, la France engluée dans ses
contradictions, alternant République, Empire, et monarchisme croupion,
vivait sous le règne de Charles X. Celui-ci, sous divers prétextes, et
pour « châtier » les pirates barbaresques qui perturbaient le trafic
maritime en Méditerranée, monta une expédition contre Hussein Pacha, le
dey ottoman qui régnait sur cette province d’obédience turque. Le dey,
sujet d’Istanbul, gouverne une population de Maures, de Kabyles, de
Berbères, d'Arabes et de marins pirates. La richesse en blé de ces
provinces nord-africaines lui avait permis d’accumuler dans ses caves un
fabuleux trésor, que Charles X rêvait de s’approprier.
Ce qui fut fait en juillet 1830. Une révolution inopinée chassa le Roi
du trône de France et le remplaça par un roi des Français. Dans ce
chassé-croisé, une partie du trésor d’Alger disparut au profit des
hommes d’affaires qui entretenaient l’expédition, et la monarchie de
Juillet n’hérita que les miettes, plus un territoire dont elle ne savait
que faire.
De sujets de la Sublime Porte, les autochtones devinrent sujets de
France, et ne se découvrirent Algériens que progressivement. (Voir
l'article sur Sidi-Brahim et l'émir Abd El-Kader)
Il a fallu un siècle de turbulences pour que les Français se
reconnaissent républicains ; un siècle ne sera pas de trop pour que le
peuple d’Algérie se découvre une nation.
En juin 1940, dans les Ardennes et les plaines picardes, de nombreux
tirailleurs algériens perdaient leur vie, pêle-mêle avec les Pieds-noirs
de Bab-el-Oued, avec les fils de l’Hexagone, et les Noirs des colonies ;
il s’agissait bien de défendre la même patrie. Mais à l’arrière, la
maturité politique était suffisamment avancée pour que des organisations
algériennes revendiquent une réforme du statut de l’indigène et
avancent le mot de fédéralisme.
En avril 1941, Ferhat Abbas envoie au chef de l’État un rapport « L’Algérie de demain », où il demande des réformes qui préfigurent le contenu du « Manifeste du peuple algérien » à venir.
Les deux défaites
La première défaite du commandement militaire français devant les
troupes allemandes provoque un choc dans l’opinion publique : pour le
fellah, le tout puissant colon et son bras armé n’étaient plus
invincibles désormais.
En novembre 1942, au regard de la population algérienne, une seconde
défaite frappe le pouvoir militaire français fidèle au Maréchal, avec
l’arrivée massive des Américains à Alger et le débarquement des troupes
alliées qui installent en Algérie leur base méditerranéenne.
La démocratie américaine s’avance, ceci est connu, avec ses deux
visages. Le premier, admirable, celui qui servit de modèle à la grande
Révolution française, porteur de l’idéal des libertés des peuples et des
droits de l’homme. Le second visage, plus immédiat et prosaïque est
celui d’une troupe d’hommes éclatants de santé, insouciants et cordiaux,
traficoteurs et bambocheurs.
(Cet aspect des effets de la présence américaine a été mis en scène dans le film d'Alexandre Arcady: "Le grand Carnaval" en 1983).
L’Amérique prenait pied en Algérie avec la Charte de l’Atlantique
qui promettait aux peuples des colonies le droit de disposer
d’eux-mêmes. Elle déversait également son opulence matérielle
accompagnée du marché noir corrupteur, rapidement organisé en mafia
interlope. En 1943, à Alger, tout se vendait ou s’échangeait, y compris
les armes de guerre.
L’Algérie c’est la France ! En 1943, l’Algérie c’était surtout Vichy et
le pétainisme poussé à la caricature, avec cependant un patriotisme
authentique qui excluait la collaboration prônée par Laval, Déat et
consorts.
Le petit peuple pied-noir s’était mobilisé massivement pour défendre la
mère patrie, et les Algériens s’engagèrent avec les Alliés pour la
libération du territoire national. La famille Hernandez envoya ses
garçons servir sous les ordres de de Lattre de Tassigny et les fils
musulmans de la Casbah s’y retrouvèrent également au coude à coude. Il
est admirable, et navrant, de constater que les combats contre le
nazisme et les plaques des monuments aux morts, seront les seuls
endroits où les deux communautés se retrouveront dans l’égalité, avec la
fraternité de la tombe.
Les carillons de la Victoire
La génération à laquelle j’appartiens se souvient des cloches de la victoire du 8 mai 1945 ; c’est également une génération qui a vu ses gars achever leur jeunesse dans les djebels.
L’enfant que j’étais suivit les grands sur le toit de l’église du
village, malgré les protestations du curé, pour aller sonner la fin de
la guerre. Ce jour reste fortement marqué dans ma mémoire par cette
formidable transgression que représentait la bousculade du tout-puissant
curé, et l’occupation du toit de l’église dans laquelle le matin même
je servais l’office comme enfant de chœur.
Et l'enfant est fier de poser pour le
photographe sur le chemin de l'école. Il ne sait pas encore combien bref
sera son printemps.(Photo J. Farjon)
Je me faufilai sans vraiment comprendre ce qui enfiévrait les adultes,
mais déterminé à ne rien perdre de ce que l’on préparait. Je montai en
courant jusqu’à la cime du clocher pour déboucher en plein ciel. Et je
riais, et tous riaient d’être là. Les plus grands parce qu’ils se
savaient délivrés d’une servitude, les petits parce qu’ils comprenaient
que quelque chose de grave s’accomplissait, et, par contrecoup, libérait
des interdits.
Les oreilles fracassées par les premières volées, accroupis sur le
faîtage, nous regardions les hommes affrontés aux battants peser de
toutes leurs forces pour ébranler les énormes cloches qui avaient
ponctué, mystérieuses et aériennes, nos jours et nos nuits. Les cloches
asservies aux matines et aux vêpres, aux angélus et aux glas,
s’émancipaient en République. Sous les mains de la jeunesse, elles
inventaient un carillon inouï. Je ne l’oublierai jamais et garderai
l’ivresse de l’escapade sur les toits interdits un jour pavoisé de
tricolore.
"Le 8 mai 1945, les cloches de la Victoire annoncent pour l'Algérie la Saint-Barthélemy.", écrit Kateb Yacine en 1961.
À neuf cent kilomètres du toit de mon église, de l’autre côté
de la mer, les cloches sonnèrent aussi. Dans le collège de Sétif, un
adolescent qui écrivait des poèmes d’amour, laissa son pupitre de bois
et courut sur la place. À Sétif, comme partout en France, on
fêtait la Victoire. Kateb Yacine avait quinze ans, il se souviendra toute sa vie du 8 mai 1945 : « À
la tête du cortège, il y avait des scouts et des camarades du collège
qui m’ont fait signe, et je les ai rejoint, sans savoir ce que je
faisais. Immédiatement, ce fut la fusillade, suivie d’une cohue
extraordinaire, la foule refluant et cherchant le salut dans la fuite.
Une petite fille fut écrasée dans la panique. Ne sachant où aller, je
suis entré chez un libraire. Je l’ai trouvé gisant dans une mare de
sang. Un ami de mon père qui passait par là me fit entrer dans un hôtel
plein d’officiers qui déversaient des propos racistes. Il y avait là mon
professeur de dessin, une vieille demoiselle assez gentille, mais comme
je chahutais dans la classe, ayant parlé une fois de faire la
révolution comme les Français en 1789, elle me cria : Eh bien, Kateb, la
voilà votre révolution, alors, vous êtes ******* ?» (Soliloques, 1988)
Autour de notre clocher occitan, nous ne savions presque rien de
l’Algérie. Il nous fallut dix ans pour apprendre que c’était autre chose
que trois départements au sud. Nous l’apprendrons sans l’avoir demandé.
Il a donc fallu plus de dix ans aux enfants qui s’enivraient du bruit
des cloches du 8 mai 1945 pour savoir qu’au même moment un drame se
jouait sur l’autre rive de la Méditerranée, un drame qui leur valut le
voyage outre-mer.
Depuis, comme des milliers d’autres, ils souhaitent comprendre.
Une guerre s’achève, une autre commence.
Peut-on se détacher de sa propre histoire ? J’ai ouvert les yeux
sur le monde tandis que la guerre contre l’Allemagne faisait rage, et
que les miens tremblaient pour les hommes qui guerroyaient. L’idée que
la guerre s’abattait comme une malédiction et qu’il fallait s’y
soumettre, que c’était le lot du paysan, faisait partie de notre morale.
En ce sens, nous ne devions pas différer beaucoup des paysans des Aurès
ou de l’Ouarsenis que j’allais côtoyer bientôt. Les voix d’en bas
s’élèvent rarement contre la guerre. Pire, des gars de vingt ans
l’accueillent parfois comme un facteur de promotion sociale lorsque
l’horizon du village est trop gris.
Ce drame algérien, je l’ai découvert en 1956 alors que j’effectuais mon
service militaire. Au premier récit entendu sur place, je ne l’ai pas
crû entièrement. Ce n’est qu’après avoir achevé mes deux années
obligatoires, rentré au pays, que j’ai tout découvert en lisant les
éditoriaux de certains journaux et les livres de Pierre Vidal-Naquet ou
de Henri Alleg. Avec le recul, j’ai aussi compris ce qu’étaient ces
opérations de maintien de l’ordre qui m’avaient mobilisé là-bas. Il
s’agissait bien d’une guerre et elle avait débuté à la minute de silence
devant le monument aux morts de Sétif, le 8 mai 1945.
Printemps des peuples
La guerre s’achevait. En ce début d’année 45, chacun comprenait que le
régime nazi n’en avait plus que pour quelques semaines. On se préparait à
revivre. Les familles espéraient le retour de leur soldat. Et les
survivants de Monte Cassino, du Garigliano, des chemins de la
reconquête, s’attendaient à des jours meilleurs une fois dans leur
foyer. Les tirailleurs de de Lattre, de Juin, de Montsabert, les
glorieux combattants qui en 1943 et 1944 firent oublier la débâcle et
restaurèrent l’honneur de l’armée française aux yeux des Alliés,
s’attendaient à la reconnaissance de la nation.
Au bled aussi on préparait la fête du retour. L’élite musulmane avait
pris conscience depuis longtemps de l’inégalité des sorts et se
préparait à revendiquer l’amélioration de statut de l’indigène. Les
associations politiques, notamment l’AML (Amis du Manifeste et des
Libertés) de Ferhat Abbas, recueillaient une audience populaire de plus
en plus large. Les premiers discours nationalistes apparaissaient au
grand jour. Le PPA de Messali Hadj, héritier de l’Étoile
nord-africaine, n’était plus isolé.
Sétif, par la présence de son pharmacien Ferhat Abbas, faisait
figure de capitale politique de l’Algérie future. Que réclamaient ces
guides ? Ces dirigeants militaient pour la constitution d’un
État algérien fédéré à la France, mais disposant d’une
autonomie interne. Utopie ? Ils dressaient ce constat : « Le
tirailleur qui revient couvert de gloire, qu’on a fêté en France et à
Alger, ne comprend pas pourquoi sa solde et ses al********s familiales
sont inférieures à celles de son frère d’armes européen. Il ne comprend
pas que le tirailleur musulman mutilé touche une pension inférieure à
celle du tirailleur européen blessé dans la même bataille, de la même
manière, contre le même ennemi. » (Amar Ouzegane, dans Jacques Jurquet)
La jeune génération montrait plus d’impatience. Le mouvement scout, très vigoureux en Algérie, était à l’avant-garde du combat.
Pour célébrer le 1er Mai des travailleurs, il fut décidé que les scouts
défileraient devant les syndicats avec leurs fanions. Des banderoles et
des slogans furent préparés. « Libérez Messali », « Libérez les détenus », « A bas le colonialisme
». Des chants se répétaient et les femmes cousaient des étoffes vertes
et blanches, frappées d’une étoile et du croissant rouge, lointain
souvenir de la bannière d’Abd el-Kader. (La petite histoire retiendra
que le premier drapeau algérien fut cousu par une jeune française,
Madame Messali Hadj)
Les 1er Mai ouvriers ont souvent vu couler le sang. Celui d’Alger et
d’Oran en 1945 fut dans la tradition. Les forces de police avaient
établi des barrages pour filtrer la manifestation et détruire les
drapeaux et les banderoles. Un peu partout en Algérie les défilés du 1er
Mai montrèrent une forte mobilisation des musulmans. Le pouvoir en fut
alerté.
On attendait la proclamation de l’armistice d’un jour à l’autre.
Jour de Victoire
Gloire au soldat qui rentre dans ses foyers ! Pour lui les fleurs des
enfants, les baisers des filles, l’accolade des vieux. Mais à Marseille,
on le retient sur le quai, le soldat glorieux. Ce qu’il ne sait pas
c’est que de l’autre côté de la mer sa mechta est en feu. Les siens
gisent le ventre ouvert.
Il est des crimes plus lourds à porter que d’autres. Bienheureux ceux
qui les ignorent longtemps pour ne les avoir point vécus. L’œuvre de Kateb Yacine,
qui perdra quatorze membre de sa famille dans le massacre, tout entière
palpite aux souvenir du défilé de la victoire à Sétif :
Vous mes frères, les loups d’un bois de servitude,
Faites frémir le ciel de vos sanglots damnés
Après la nuit glaciale où meurt votre harmonie…
Vous mordez votre flanc orgueilleux d’être vide
Pourtant j’aime vos cris importuns quand la neige
Couvre de pureté vos spectres maladifs…
(Soliloques, 1946)
La comptabilité des crimes collectifs, l’énumération des massacres, ne
peuvent que conduire à une hiérarchie des horreurs qui ajoute encore à
l’ignominie. Fallait-il taire un crime en ce jour où les survivants
célèbrent la victoire et honorent les morts tombés contre le nazisme ?
Pendant plus de dix ans, ceux qui tenaient la parole imposèrent le
bâillon.
On a déjà dit dans quel état d’ignorance les appelés du contingent se
sont retrouvés, en 1956, embarqués dans ce qui n’avait pas encore de nom
et que l’on appelle aujourd’hui la "Guerre d’indépendance algérienne".
Nous sommes arrivés dans le Constantinois après une autre tuerie qui
avait fait six mois plus tôt 123 victimes à El-Halia et Philippeville,
entraînant selon l’arithmétique propre à ces événements une répression
de plusieurs milliers de morts. L’émotion était encore palpable. Nos
hôtes voulaient dire le détail des pertes, les mutilations, l’innocence
des victimes. On évoquait aussi la « Toussaint rouge » de 1954. Mais de
la tragédie prémonitoire et fondamentale du 8 mai 1945 à Sétif et dans
le Constantinois, jamais personne ne voulut parler. Elle relève pourtant
de la plus haute blessure et constitue la charnière autour de laquelle
tout bascula, parce qu’il y eut en ce lieu un crime majeur. Pour le
comprendre il aurait suffi d’ouvrir les yeux et d’écouter les poètes.
Le monument aux morts de Sétif
Ce 8 mai c’est jour de marché. Il fait beau.
Sétif est une ville bâtie sur le modèle des cités créées par la
colonisation. Située au centre d’une région où pousse le blé, la misère
n’est pas aussi accablante que dans la Kabylie ou les Aurès. Le climat
est dur. À côté de la ville européenne, il y a les villages
arabes et un vaste quartier militaire. Le marché attire tous les ruraux
des alentours.
La célébration de la Victoire est prévue au monument aux morts. La
manifestation décidée par les associations musulmanes se forme dès huit
heures du matin. Il s’agit de déposer une gerbe. Le rendez-vous est fixé
devant la mosquée du faubourg de la gare.
Beaucoup de monde. Les militants veillent à la bonne organisation. C’est
une manifestation de paix. On demande même aux fellahs de déposer leur
couteau de poche et leur bâton. Il faut éviter toute provocation et
toute menace vis-à-vis de l’ordre public après les dérives du Premier
Mai.
Le cortège se forme et, pour affirmer ses intentions pacifiques, les
organisateurs placent en tête les enfants et deux cent scouts en
uniforme. Derrière eux viennent les étudiants, et trois anciens
combattants de 14-18 porteurs de gerbes. Suivent les drapeaux de tous
les pays alliés qui ont vaincu l’hitlérisme. En fin de cortège, la masse
des manifestants.
Le commissaire central Tort se porte devant la mosquée et
s’adresse au service d’ordre. Il les avise que toutes banderoles et
pancartes à caractère politique sont interdites, puis il se rend à la
sous-préfecture en laissant sur place le commissaire Valère. La foule est disciplinée, mais elle entend revendiquer ses droits et son identité.
Le sous-préfet de Sétif, Butterlin, convoque diverses
personnalités musulmanes et leur fait connaître l’interdiction de tout
cortège à caractère politique, et les avise qu’elles seront tenue pour
responsables de tout incidents. Il met en alerte l’autorité militaire et
la gendarmerie.
Pendant ce temps, le défilé se met en route. Dix mille personnes,
peut-être davantage. Soudain, au milieu des drapeaux français et alliés,
une main brandit le drapeau vert et blanc frappé d’une étoile et du
croissant rouge, un drapeau jamais vu au soleil, le drapeau algérien.
S’il n’avait encore été déployé en public, personne n’ignorait sa
naissance depuis que Ferhat Abbas avait réclamé dans son Manifeste que
les troupes indigènes levées en 1943 pour la reconquête de la France
occupée soient placées sous les couleurs algériennes.
C’est le jeune Chaâl Bouzid qui porte le drapeau.
Les militants des AML sortent les banderoles et les pancartes. On peut lire : « Démocratie pour tous », « Vive l’Algérie libre et indépendante », « Vive la Charte de l’Atlantique ».
Des motocyclistes de la police surveillent l’avancée du cortège. Les scouts chantent "Min djibalina" (De nos montagnes s’élève la voix des hommes libres, l’indépendance les appelle…)
Sétif, plaque commémorative de la mort de Chaâl Bouzid. Photo lamblard.
Le commissaire Valère signale au sous-préfet Butterlin la présence des
slogans. Le sous-préfet lui intime l’ordre de retirer les banderoles
séditieuses. Le commissaire fait observer que cette intervention risque
d’entraîner de la bagarre compte tenu du nombre de manifestants. Le
sous-préfet répond : « Eh bien il y aura de la bagarre ! »
La manifestation poursuit son itinéraire qui doit traverser le centre
ville. Les trottoirs sont noirs de monde, les femmes poussent les
you-you traditionnels.
Il est 9h 30 environ lorsque le cortège arrive à hauteur du Café de
France, en face du Café Carbonnel, lieu de rendez-vous de tous les
colons, cœur de la ville européenne. Le commissaire de police Olivièri
sort d’un établissement et arrête la marche. Il exige que soient
enlevés les banderoles et le drapeau vert et blanc. Les dirigeants
répondent que la manifestation est autorisée et qu’elle est pacifique.
À cet instant, Olivièri se précipite sur le porteur de la
première bannière et tente de l’arracher. Des manifestants se jettent
sur lui et le maîtrisent. Le policier appelle à l’aide. Ses hommes
sortent des voitures et des cafés. C’est la confusion. Un premier coup
de feu est tiré en l’air par un policier, semble-t-il. D’autres coups
partent des environs, de derrière les arcades, peut-être des balcons. Le
jeune Chaâl Bouzid, porteur du drapeau, s’effondre, blessé à mort.
Des rafales de mitraillettes claquent. Les Européens sont armés, en
face, les manifestants sont innombrables. Le cortège se disloque sous
les arcades, dans les rues voisines. Trois cadavres gisent au milieu de
la rue, beaucoup de blessés. Des dirigeants restent sur place et tentent
de reformer le défilé pour déposer la gerbe au monument aux morts. Mais
c’est la débandade, le désordre et la peur.
Comment cela a-t-il commencé ? Comme souvent, une échauffourée suivi
d’une fusillade dont la provenance ne sera jamais éclaircie.
Par la suite, il est certain que le car de la gendarmerie est entré en
action, barrant la route à ce qui restait du cortège devant le monument
aux morts. L’émotion est énorme, l’onde se répercute au fond des souks,
la masse des paysans se précipite, c’est l’émeute. Les manifestants
surexcités se répandent dans les rues et agressent tout ce qui ressemble
à un Européen.
Kateb Yacine qui défilait avec ses camarades témoignera directement :
« Un agent de la sûreté, dissimulé à l’ombre d’une arcade, tire sur le drapeau ;
Mitraille.
Les cadres flottent.
Ils ont laissé désarmer les manifestants à la mosquée, par le commissaire, aidé du muphti.
Chaises. Bouteilles.
Branches d’arbres taillées en chemin.
Les Cadres sont enfoncés.
Contenir le peuple à sa première manifestation massive ?
Le porte-drapeau s’écroule.
Un ancien combattant empoigne son clairon.
Est-ce la diane ou la guerre sainte ?
Un paysan tranche d’un coup de sabre l’épaule d’un étudiant sans coiffure qu’il a pris pour un européen.
Mustapha jette sa cravate.
Le maire français est abattu par un policier…. »
(Nedjma, 1956)
Le maire socialiste de Sétif, Édouard Deluca sera
trouvé mort. Qui l’a tué ? L’écrivain est formel : un policier. Mais
d’autres témoignages désignent des hommes de main des Vichystes qui
prennent leur revanche. Un contrôleur des postes, militant du PCA, Albert Denier
a les mains broyées à coup de hache, on l’amputera à l’hôpital. Il
refusera toujours de désigner les coupables parmi les Algériens arrêtés,
tant le désarroi de la foule poussait à la confusion.
Ferhat Abbas
qui se trouvait ce jour-là à Alger pour une
cérémonie officielle (et sera arrêté dans les salons même du gouverneur
général, peut-être pour le protéger d’un attentat d’extrême droite qui
visait ce meneur charismatique), écrit dans son testament politique : « Un employé des postes, foncièrement honnête comme mon ami Denier, victime innocente d’un salaud…
» Il est certain que la colère populaire a poussé les manifestants à
des actes horribles et injustifiés ; les heures qui suivront ne feront
qu’amplifier l’émeute.
À midi, le calme est rétabli à Sétif. La police et la
gendarmerie ont repris le contrôle des rues. L’armée s’est déployée et
pourchasse les insurgés à l’extérieur de la ville.
On a tiré encore autour du monument aux morts. On emporte les morts et les blessés. Le couvre-feu est instauré.
L’émeute du Constantinois
Partout, dans chaque ville et village, les cloches ont sonné et
les cortèges sont allés déposer leurs gerbes sans incidents notables. Le rapport du général Paul Tubert, commandé à chaud par le gouvernement, constatera : « D’autres
manifestations se sont déroulées ce jour-là, et notamment à
Sidi-bel-Abbès, avec des pancartes portant les mêmes inscriptions qu’à
Sétif, sans causer d’incidents sanglants, la police étant demeurée
passive (…) Sans vouloir en rien s’immiscer dans l’enquête judiciaire,
la commission a seulement constaté que bon nombre de manifestations se
sont déroulées en Algérie les 1er et 8 mai, que toutes ces
manifestations étaient à caractère exclusivement politique et avaient
pour but de réclamer la libération de Messali Hadj et l’indépendance de
l’Algérie. Elle a aussi constaté que seule la manifestation de Sétif du 8
mai avait tourné à l’émeute pour gagner les régions environnantes. »
À 14h 30, le préfet de Constantine Lestrade-Carbonnel,
venant d’arriver à Sétif, proclame l’état d’urgence. Après
communication avec Alger, la loi martiale accorde tous les pouvoirs au
général Raymond Duval commandant la division territoriale de
Constantine. Celui-ci engage aussitôt ses troupes motorisées et ses
half-tracks. Simultanément, les milices civiles armées se lancent dans
des opérations de représailles.
Les fusillades du marché de Sétif ont jeté sur les routes des gens
affolés qui crient que l’on tue les Arabes. Un taxi diffuse la nouvelle à
Périgotville. Et c’est une traînée de poudre qui se répand dans le
djebel, avec les conséquences que l’on imagine. Sur ces populations
affamées, humiliées depuis des décennies, dont pas une n’ignore le
contexte international dans lequel se trouve la France depuis Sedan et
Montoire, sur ces populations qui ont pour les guerres payé l’impôt du
sang, le crime de Sétif jaillit comme une profanation.
La manifestation se voulait réellement pacifique. Dans ce pays où depuis
trois ans l’énorme machine de guerre américaine, et ses soldats
traficoteurs, s’était posée, les armes ne manquaient pas. Le troc, la
contrebande, le vol, le gaspillage, comme partout où l’ordre guerrier
domine, permettait à qui en montrait la volonté de se pourvoir en
fusils, mitraillettes, pistolets et grenades. Les musulmans de Sétif ne
possédaient rien de tout cela. Et les traditionnels tromblons des
montagnards étaient restés dans leurs cachettes.
Par ailleurs, on peut imaginer quel arsenal les colons s’étaient constitué sachant que l’Algérie « était à la veille d’une disette agricole sans précédent et que cette situation pouvait provoquer un drame général », ainsi que l’écrivait Eugène Vallet, président du Conseil général de Constantine, le 24 avril 1945.
Dans un premier temps, sous la violence de la répression, armés de
pierres et de bâtons, les manifestants répliquèrent, et puis se
transformèrent en émeutiers cherchant à tirer vengeance de tous les
Européens rencontrés. Comme sous toutes les latitudes, la fureur
populaire des hordes misérables se livre au carnage avec une brutalité
irrationnelle, cherchant à anéantir le corps après lui avoir ôté la vie,
dans des gestes de profanation qui semblent resurgir d’une bestialité
originelle, ou imiter des rites barbares de l’armée de Bugeaud.
Le sous-préfet de Guelma
Il faudrait s’arrêter ici. Le pire est à venir.
C’est à Guelma que le processus sinistre de la répression et de son
escalade incontrôlée se révèle dans toute l’étendue de son horreur.
Guelma se trouve à 200 km de Sétif. Le matin du 8 mai a été calme. La
manifestation musulmane, prévue comme dans toute l’Algérie, n’a été
programmée qu’à 17 heures, peut-être pour éviter le meeting officiel que
les autorités tiennent sur la place Saint-Augustin.
À l’heure dite, le cortège se dirige vers le monument aux
morts. Quelques milliers de personnes défilent drapeaux en tête comme à
Sétif, et banderoles déployées.
Le sous-préfet André Achiary, accompagné de policiers, se place
au milieu de la chaussée et stoppe les manifestants. Il interdit au
cortège d’avancer et exige la dispersion immédiate. Un dialogue s’engage
avec le service d’ordre. Les militants demandent l’autorisation d’aller
jusqu’au monument aux morts. Des consommateurs attablés aux terrasses
des cafés interpellent le sous-préfet : « Y a-t-il la France ici ? Oui ou non ?… »
Sortant son arme, Achiary ordonne pour la seconde fois la dispersion et
tire en l’air. Mais la foule pousse en avant. Le sous-préfet est
bousculé. Il recule. Débordés, les cadres des musulmans tentent de faire
refluer leurs gens. Trop tard, déjà les policiers chargent. Ils tirent.
Le porte-drapeau Boumaza el-Hamdi s’effondre. D’autres sont
mortellement blessés à la baïonnette. C’est la panique, les manifestants
jettent des pierres et ce qui leur tombe sous la main avant de
s’enfuir. Aucun Européen n’a été tué.
Achiary ordonne la fermeture des cafés, établit le couvre-feu et donne l’ordre d’armer la milice européenne.
Dans la soirée, la rumeur de morts à Sétif rejoint celle de Guelma. Des
émissaires alertent les tribus de la tuerie et des arrestations.
L’émotion fait tache d’huile, les paysans se cachent dans les montagnes.
Le châtiment est organisé et conduit par Achiary (qui avait été
commissaire de police à Alger sous le gouvernement de Vichy, et se
proclame désormais gaulliste.) Il est appuyé par le préfet de
Constantine. Ordre est donné au général Duval, commandant supérieur des
troupes, de lancer ses unités dans une répression exemplaire.
« Le sous-préfet invite personnellement les Européens à participer
aux massacres : ‘’Messieurs les colons, vengez-vous ! ‘’ leur
lance-t-il. Dans le lot sont exécutés tous les joueurs de l’équipe de
football l’Espérance sportive guelmoise, car un dirigeant du club est
soupçonné d’appartenir au PPA. Les corps, arrosés d’essence, sont brûlés
sur la place de l’église ou dans les fours à chaux d’Héliopolis… » (Henri Alleg).
L’action conjuguée des miliciens, des gendarmes, de la police et des
troupes, et même des détenus étrangers que Duval réquisitionne, non
seulement à Sétif et Guelma mais dans tout le Constantinois, entraînera
un nombre incalculable de victimes. Jouant sur les oppositions ethniques
traditionnelles, la hiérarchie militaire lance les tirailleurs
sénégalais à l’assaut, après leur avoir servi l’habituelle ration
d’alcool comme au front.
« On viole. On étripe. On mutile. On égorge. Une opération
considérable de ratissage est menée par le général Raymond Duval à la
tête de légionnaires (…) Les fusillades sont innombrables. La répression
est sauvage », écrit Yves Courrière. Le même auteur ajoute : «
Car on peut parler de massacre. Des douars entiers ont disparu. On
trouvera des fosses communes remplies à ras bord de cadavres. »
Les chars, les automitrailleuses entrent en action. Des centaines d’hommes sont exécutés à la mitrailleuse dans les carrières.
L’aviation est mise à contribution. En rase-mottes, elle lâche ses
roquettes, mitraille les mechtas. La marine est appelée à tirer. Le
croiseur de guerre Duguay-Trouin bombarde les villages dans les régions
de Kerrata et Taratest. Le croiseur Triomphant ouvre le feu sur le douar
Djaoua près de Bougie. Pendant plus de dix jours, c’est une opération
de mort qui se déchaîne dans le périmètre de la Kabylie aux Aurès.
Le Sacrilège de Mai
Au moment où le pilonnage battait son plein, le 7e Régiment de
Tirailleurs algériens, dont les soldats étaient pour la plupart
originaire du Constantinois, débarquait à Alger. Ces hommes, qui avaient
perdu plus de la moitié de leurs camarades sur les champs de bataille,
rentrant chez eux, découvrent que leur maison, leur village ont été
détruits, que leur famille a été décimée par les armes françaises
soudain retournées, les armes de l’Algérie française.
Ces troupes du général Duval, ces chefs, dont la plupart n’avaient pu
s’opposer aux puissances de l’Axe, ces miliciens exemptés des batailles,
ces tueurs, se sont déchaînés un jour de victoire contre un peuple dont
le seul crime était de réclamer un peu plus de justice. Avec la
lucidité du recul, on ne peut qu’être étonné par la modération des mots
d’ordre que scandaient les manifestants musulmans du 8 mai. Ils
demandaient seulement qu’un rang de dignité leur fût octroyé sur leur
terre ancestrale. S’en suivit une hécatombe.
Ce sacrifice d’hommes, de femmes et d’enfants, après la boucherie des
combats où des milliers de jeunes Algériens, de toutes confession,
moururent entre Sedan et Dunkerque, dans les Alpes et sur les plages de
Provence, accouchera neuf ans plus tard d’une guerre impitoyable.
« Quelle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours
déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente où le tueur
sait d’avance qu’il atteindra la femme et l’enfant », s’écriera Albert Camus. (Actuelles III)
L’écrasement politique ira de pair avec le massacre. Tous les militants
algériens seront arrêtés en quelques heures sur tout le territoire. Un
millier de condamnations, dont une centaine à mort. Le bilan de la
répression militaire et des meurtres civils sur les quinze jours que
durèrent les opérations punitives du Constantinois, est impossible à
dresser avec exactitude.
La commission du général Paul Tubert envoyée sur place par le gouverneur
Yves Chataigneau, ne disposera que de deux jours pour enquêter sur le
terrain (26 et 27 mai 1945). Elle sera immédiatement rappelée à Alger
sur ordre de de Gaulle, au moment de se porter à Guelma. Le chef de la
France libre ne souhaitait pas ajouter aux urgences du moment.
Le gouverneur Yves Chataigneau, dont l’humanité ne peut être mise en
doute, avait dépêché immédiatement une première enquête confiée au
commissaire J. Bergé, chef de la P.J. d’Alger. Celui-ci fut constamment
entravé dans ses investigations de terrain par la collusion des pouvoirs
locaux. Toutefois, un rapport de Bergé concernant les meurtres
attribués aux milices civiles de Guelma existe aux Archives nationales
et a pu être récemment consulté par l’historienne
Conclusion
Le nombre des victimes serait donc approchant les 45 000. Ce chiffre,
comme nous l’avons dit, paraît recouvrir, selon les spécialistes de ce
dossier, celui, global, des morts, des blessés, et de tous ceux qui ont
subi des sévices.
Au-delà des monceaux de cadavres accumulés dans les deux communautés, ce
qui pèse dans cette tragédie, c’est la charge symbolique du crime, en
ce moment historique, en cet endroit. À partir de Mai 1945,
plus rien ne sera comme avant en Algérie. Ce constat était vrai pour le
monde libre en général qui mit un terme au régime nazi, mais en
particulier pour la France dans ses rapports de puissance coloniale,
face à un peuple qui déposait les prémices de son affranchissement, et
néanmoins se disait encore prêt à nouer des liens nouveaux et dignes
pour aborder une association politique adaptée à cette fin de siècle.
Et c’est en cela aussi qu’il y eut crime et sacrilège.
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